L'histoire de l'art est portée par des œuvres qui ont été construites autour d'une histoire, mais aussi pour la période qui nous concerne par l'utilisation de la perspective et son évolution depuis Alberti. Aussi, pour établir ce rapport entre l'histoire et la perspective, nous avons choisi de présenter le tableau « las meninas » de Velaquez. Ce tableau maintes fois commenté a fasciné toutes les générations de peintre.Comme le dit l’historien Daniel Arasse : « le temps n'épuise pas les Menines il les enrichit » On n'y voit rien. C'est une œuvre que l'on a redécouverte par la radiographie, il existe en effet deux œuvres, une de 1656 et une de 1657. C'est la seconde que nous présentons, car le peintre n’était pas dans la première toile. C'est une toile exposée au Musée du Prado. C'est une huile sur toile 276 x318, de l'époque baroque qui représente une scène de la famille royale de Philippe V d'Espagne. Le tableau « las Meninas » les servantes, est encore appelé la famille. Il montre une scène de la cour qui se déroule dans l’atelier du peintre Velázquez et chose importante pour l'époque et pour l'histoire le peintre figure sur la toile. Ce qui est très rare pour l'époque un portrait et un autoportrait. De plus entre l'utilisation de la perspective et l’usage des miroirs par les peintres, le tableau se joue dans un jeu de regard que l'on a appelé la « double vue ». Une sorte de représentation dans la représentation. Il est à noter que dans le contexte historique Velázquez possède un statut particulier à la cour alors que ses contemporains ne sont pas considérés comme des artistes mais plus comme des ouvriers, des artisans. Ainsi nous verrons en rapprochant ce tableau de celui des époux Arnolfini comment se joue la représentation entre l’histoire et la perspective par le truchement des miroirs. Nous verrons dans un premier temps l’histoire de cette « fabula » pour ensuite la comparerons à l’œuvre de Jean van Eck les époux Arnolfini et enfin comprendre les enjeux de la perspectives dans les jeux de regards et de miroirs.

L’œuvre est exemplaire du point de vue historique. Le tableau représente la famille royale, une sorte de scène intimiste rare dans l'histoire, car on suppose que la famille royale est descendue voir le peintre dans son atelier. Il est à noter que Velasquez est devenu peintre du roi en 1626. Il est curateur de la collection royale ce qui lui permit de côtoyer et d’acquérir nombre d’œuvres de ses contemporains. De plus il devient « Aposentador Mayor de Palacio », une reconnaissance qui l'anoblit mais qui lui vaudra aussi des inimitiés . Ces éléments pour dire qu'il est au cœur du pouvoir , au cœur de la famille royale et c'est tout l'enjeu des regards dans ce tableau. Si l'on revient un instant au tableau reprenons la scène : au premier plan la jeune infante entourée de ses Menines, ses servantes, Le roi et la reine sont représentés dans le miroir au dessus en arrière plan. Nous spectateurs sommes face à la jeune fille naine, Maria Balboa, en retrait Dona Marcella De Ullola, la gouvernante, le garde du corps don José Nieto Velasquez dont on a supposé qu'il pouvait être cousin de Velasquez et Maria Aggustina Sarmeiento de Sotamayor , chambellan. Le pouvoir est incarné dans le reflet dans le miroir au dessus de la scène. Cela est d'autant plus important qu' il existe une forme de naturalisme dans ce tableau dans la peinture de l'infante ou du chien, mais aussi il s'inscrit dans le contexte d'une crise familiale et politique, car il est question de succession, or Philippe épouse Marie Anne d'Autriche en secondes noces, mais à la mort de leur fils Baltassar la question d'un héritier au trône se pose et cela explique que cette œuvre est différente de la première et Marie Thérèse est enfant unique en 1651. Le pouvoir est incarné comme l’écrit Louis Marin dans les emblèmes du pouvoir. Le miroir concave établit par le reflet le rapport entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. La sainte famille est en écho à l'idée de monarchie de droit divin. Un pouvoir bienveillant et protecteur. Il y a une hiérarchie dans les regards et les jeux de regards racontent une histoire selon le principe du dispositif d 'Alberti, les lignes de regards se composent . C'est en ce sens que nous avons souhaité rapprocher ce tableau de l’histoire mais aussi de la représentation des époux Arnolfini de Jean van Eck. Une peinture sur bois de 80x62 exposé à la National Galery de Londres. Il peint un riche banquier Florentin, conseiller de Philippe le Bon, avec son épouse Giovana Cenami. A l’arrière plan un miroir qui est en quelque sorte comme un point de fuite du tableau. Même idée de la représentation du pouvoir. Il est a noté que le miroir est entouré de médaillon représentant la passion du christ. Dans ces deux tableaux, le miroir en arrière plan crée une sorte de point de fuite optique contre le point de fuite géométrique et c'est là tout l'enjeu de ces tableaux.

En effet, entre l'histoire et la perspective a lieu tout une interprétation qui fut l'enjeu du débat entre Michel Foucault et Daniel Arasse . Le premier suppose qu'il faut privilégié le tableau dans le tableau, la représentation dans la représentation car Foucault après les mots et les choses privilégie le dispositif optique du panoptique pour décrire le regard circulaire et l’importance du point de vue. Alors que Daniel Arasse lui répond que seul l’histoire permet de comprendre le tableau et qu'il commet un anachronisme . Il n'en reste pas moins que les Menines reste un tableau fascinant pas sa nature , une scène intimiste au cœur du pouvoir en présence de l'artiste. Dans cette mise en scène on va au delà de la perspective. Née de la renaissance italienne avec la perspective géométrique, il est le fruit cette renaissance italienne mise au point par Alberti, Brunelleschi et Léonard de Vinci, elle constitue le point d'ancrage de la construction du regard par le point de fuite, la ligne d’horizon. Mais elle s'enrichit de l'optique, le discours de la méthode de Descartes commencera par un traité d'optique. C'est comme si on s'affranchissait d'une forme de la construction géométrique pour écrire les enjeux de l’histoire dans le regard, ce que montre les historiens de l'art et notamment Daniel Arasse dans son livre sur les Menines. L'invention de la perspective avait permis de construire une géométrie de l’œuvre, mais elle a évolué et c'est peut être ce qui interroge le plus dans les Menines de Velasquez : on parle d'une œuvre « dynastique ».L’historien Ambrogio Galbati résumait le rapport complexe de la perspective dans les Menines en montrant que l'on peut supposer qu'il existe un centre invisible contre la perspective et que la présence du peintre a déplacé le problème dans le jeu des regards entre le portrait et l’autoportrait.

On peut supposer que les tentatives diverses et multiple pour copier, reproduire, les Menines, les 48 tentatives de tableaux de Picasso pour comprendre cette œuvre montre qu'elle possède toute la complexité et la modernité d'une représentation qui est allée au delà des enjeux géométriques. Enfin, on peut noter que le portrait du pouvoir dans cette scène intimiste est d'une grande modernité car de nos jours par un président, pas une monarchie ne saurait se passer d'un portrait de famille voire de exposition de scènes intimistes familiales.